mardi 15 mars 2011

Statut de l'embryon et du foetus

Statut de l'embryon et du foetus.

par: Frédérique DREIFUSS-NETTER
Professeur agrégée à la Faculté de droit de Paris 5 René Descartes

Si le statut de l'embryon et du foetus demeure incertain (I), ces incertitudes n'ont pas empêché de lui accorder une protection juridique (II)

I. INCERTITUDE DU STATUT

A. L'embryon et le foetus ne sont pas des personnes juridiques

En effet, ce n'est qu'à la naissance, et à condition de naître vivant et viable, que la personne acquiert un état civil. L'acte de naissance est réservé à l'enfant, même décédé au moment de la déclaration, mais dont il est démontré qu'il a vécu. Dans le cas contraire, seul un acte d'enfant sans vie pourra être établi (art. 79-1 Code civil), et inscrit sur le livret de famille à la rubrique des décès. En vertu d'une circulaire n° 2001-576 du 30 novembre 2001, il était préconisé de procéder à cette formalité que si la gestation avait duré 22 semaines ou si l'enfant mort-né avait un poids de 500 g selon les critères de l'OMS. La Cour de cassation a décidé par trois arrêts du 6 février 2008 qu'aucune condition relative à la durée de gestation ou au poids du foetus ne peut être imposée dans le silence de l'article 79-1 sur ce point.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation (arrêt du 30 juin 1999) a cassé un arrêt condamnant pour homicide involontaire le gynécologue qui, à la suite d'une erreur, avait provoqué l'avortement d'une patiente enceinte de quelques semaines car les atteintes à la vie du Code pénal ne concernent que la personne juridique (contra certains arrêts de Cour d'appel notamment dans l'hypothèse d'un accident de voiture ayant causé la mort d'un foetus viable - arrêt du 3 février 2000). La portée de cette jurisprudence a été précisée par l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 29 juin 2001 : les dispositions du Code pénal relatives à l'homicide involontaire ne sont pas applicables à l'embryon ou au foetus. Malgré l'opposition d'une partie de la doctrine, la Cour de cassation s'est de nouveau prononcée dans le même sens (Cass. crim., 25 juin 2002 ; 4 mai 2004).
L'Assemblée Nationale à deux reprises a voté un texte créant une nouvelle infraction d'interruption involontaire de la grossesse, en particulier l'amendement Garraud (27 novembre 2003 - documents Assemblée Nationale, texte adopté n° 208). Mais devant la réaction de l'opinion publique, l'amendement a été retiré devant le Sénat.
La Cour Européenne des droits de l'homme, saisie par la patiente concernée par l'arrêt du 30 juin 1999, a estimé que le point de départ du droit à la vie, à supposer qu'il s'applique au foetus, relève de la marge d'appréciation des états (CEDH, 8 juillet 2004, aff. Vo c/France ; C-53924/00).
Certes, l'adage infans conceptus pro nato habetur, considéré comme un principe général du droit, permet de faire remonter rétroactivement la date de constitution de certains droits, en faveur de la personne, à la date de sa conception, mais l'application de cette règle est toujours subordonnée à la naissance. La reconnaissance prénatale est possible mais l'auteur de la reconnaissance ne peut être considéré comme le père d'un enfant avant la naissance (Conseil d'Etat, arrêt du 29 mars 1996).

B. L'embryon et le foetus sont des personnes humaines en devenir

Le statut juridique de l'embryon est souvent présenté comme une alternative entre les deux grandes catégories juridiques que sont les choses et les personnes. Seules les personnes peuvent être sujets de droit tandis que les choses sont objets de droit (v. C. Neirinck). Des juristes estiment que le législateur a considéré l'embryon comme une chose (G.Mémeteau ; D.Vigneau). D'autres estiment qu'un tel statut n'est pas incompatible avec la protection légale que mérite une chose "sacrée" (v. X. Labbée) ou une chose "personnifiée" (v .N. Molfessis). D'autres enfin font valoir que la distinction entre les personnes et les choses est ici inopérante, et n'a de pertinence que dans un débat sur l'appropriation (v. D.Thouvenin).
L'absence de droits subjectifs n'exclut pas que la personne en devenir bénéficie d'une protection objective, à l'aide des instruments que sont les droits fondamentaux d'inspiration constitutionnelle : respect de l'être humain dès le commencement de la vie, dignité de la personne humaine (article 16 Code civil)

II. PROTECTION DE L'EMBRYON ET DU FOETUS

A. L'embryon in utero

L'embryon ou le foetus in utero n'a pas d'existence juridique autonome en dehors de la personne de la femme. C'est ainsi que la loi HURIET, modifié par la Loi 2004-806 du 9 août 2004 (JO du 11 aoû 2004) ne connaît que la recherche sur les femmes enceintes ou les parturientes, soumise à des conditions restrictives (art. L. 1121-5 CSP).
De même, une fois expulsés, les foetus n'ont longtemps été considérés que comme des déchets opératoires (v. l'avis du Comité consultatif national d'éthique du 22 mai 1984 sur les prélèvements de tissus d'embryons et de tissus humains morts à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques). La Loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique subordonne le prélévement de tissus et de cellules embryonnaires ou foetaux au consentement écrit de la femme, après une information sur les finalités du prélèvement (art. L. 1241-5 CSP). La loi ne s'est préoccupée du foetus en tant que tel qu'à travers la répression de l'avortement puis la loi sur l'interruption de grossesse (v. étude Interruption de grossesse). La loi Veil en 1975, sans dépénaliser l'avortement, a admis sa justification tirée de la détresse de la femme, pendant les dix premières semaines de la grossesse, dans le cadre d'une procédure déterminée. Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ont à plusieurs reprises affirmé la conformité de la loi sur l'IVG avec la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et ses dispositions garantissant le droit à la vie.
En outre, l'article L. 2213-1 CSP autorise également l'interruption de grossesse à tout moment en cas de péril grave pour la santé de la femme ou s'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

B. L'embryon in vitro

Les lois dites de bioéthique du 29 juillet 1994 ont tenté de préserver autant que faire se peut la conservation et le transfert des embryons fécondés in vitro afin de leur donner une chance de naître. Cependant, le législateur a entériné dans certaines circonstances la fin de leur conservation. En vertu de la loi du 6 août 2004 (art. L. 2141-4 CSP), le couple, consulté chaque année sur le point de savoir s'il maintient son projet parental ou le survivant après décès d'un des membres du couple, peut demander la fin de la conservation. La demande doit être faite par écrit et confirmée au bout de trois mois. Les embryons conservés depuis plus de cinq ans pourront aussi être détruits si le couple ne répond pas ou s'il existe un désaccord. Il en est de même pour les embryons, qui au bout de cinq ans après autorisation n'auront pas pu faire l'objet d'un accueil (v. étude Accueil d'embryon). Pour éviter d'augmenter le nombre des embryons surnuméraires, il est prévu qu'aucune nouvelle tentative de fécondation in vitro ne peut être entreprise tant que le couple a encore des embryons conservés, sauf si "un problème de qualité affecte ses embryons" (art. L. 2141-3 CSP).

La loi autorise également le tri des embryons grâce au diagnostic préimplantatoire pratiqué afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'une anomalie d'une particulière. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994, estimant que le législateur n'a "pas considéré que devait être assurée la conservation en toutes circonstances et pour une durée indéterminée de tous les embryons déjà formés" n'a pas cru devoir remettre en cause ce choix .
Mais surtout, la loi a voulu éviter l'instrumentalisation de l'embryon in vitro au nom du principe de protection de la dignité de la personne humaine dont il semble le dépositaire :
- tout d'abord, l'embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les modalités de l'assistance médicale à la procréation (art. L. 2141-3 CSP). (v. étude Assistance médicale à la procréation).
- cette exigence est renforcée par l'interdiction de concevoir un embryon à des fins commerciales ou industrielles (art. L.2151-3 CSP) ou à des fins d'expérimentation ou de recherche (art. L. 2151-2 CSP) (c'est également la préoccupation du Conseil de l'Europe dans la Convention d'Oviedo en matière de biomédecine).

Toutefois, si la loi du 29 juillet 2004 interdisait toute recherche sur les embryons surnuméraires et n'autorisait que les "études" ne portant pas atteinte à l'embryon, le principe a été assoupli par la loi du 6 août 2004 (art. L. 2151-5 CSP - V. Etude sur la recherche sur les embryons) en raison des perspectives ouvertes par la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

vendredi 11 mars 2011

Le droit médical

Le droit médical

Cours du 27/01/04 du Pr. M. Penneau
Résumé par Alexandra Salfati

    I- La conception du droit médical

    I-1 Définition

    Le droit médical en tant que discipline à part entière n’existe pas. C’est un domaine du droit largement hétéroclite, qui se fonde sur divers domaines du droit. Sa compréhension ne peut aller de pair qu’avec une connaissance et une compréhension globale de l’ensemble du droit.
    On peut donc, le définir comme étant « l’ensemble des connaissances juridiques qui trouvent à s’appliquer dans l’exercice de la profession médicale ».

    I-2 Composants

    Le droit pénal : Il n’y a pas un droit pénal spécifique pour les médecins. Les règles qui leurs sont appliquées sont les mêmes pour tous. Certaines infractions spécifiques ont été créées dernièrement par les lois de bioéthique entre autres.

    Le droit civil : Il en va de même pour le droit pénal en ce que les règles générales du droit civil s’appliquent aux médecins comme à tout individu. Dernièrement certaines règles spécifiques ont été créées.

    Depuis l’arrêt Mercier, les rapports du médecin et du patient sont réglés par un contrat, instaurant une obligation de moyen à la charge du praticien. C’est donc une relation qui est régie par le droit civil. Il est donc soumis à la jurisprudence des Cours civiles dans les cas d’analogie de situation. Connaître le droit civil c’est connaître le droit médical.
    Depuis 1997, le médecin a une obligation d’information, dont la charge de la preuve est au médecin (art 1315 CC). Il faut noter que cette obligation d’information et la charge de la preuve, s’applique à toute profession qui implique un lien de confiance et un devoir d’information, par exemple les avocats. Dans une jurisprudence récente, la Cour a instauré un devoir de résultat de sécurité pour les praticiens (arrêt «de la table d’examen »). La Cour précise cette obligation de résultat comme étant le soin apporté par le praticien aux choix des outils utilisés à l’acte médical. Cette jurisprudence vient dans la droite ligne de celle de l’arrêt du « cerceau brisé », cas où une école s’est vue imputer cette même obligation dans le choix des jouets mis à disposition des enfants.

    Le droit constitutionnel : Les règles appliquées aux médecins sont forcément soumises au regard du droit constitutionnel.

    C’est ainsi que certain ont vu dans l’article premier de la loi du 4 mars 2002, une violation du droit constitutionnel, en ce qu’il limitait le droit à réparation des parents au seul dommage moral, violant ainsi le principe du droit à l’indemnisation intégrale de son dommage.(« […]Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée[…]Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale […]. »)
    Certains vont même parler de violation de l’art 6.1 CEDH. Celui-ci prévoit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle[…] » et le fait que «nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance » enlève le droit de l’enfant, d’une manière définitive, à faire valoir ses droits auprès d’un tribunal.

    I-3 La loi du 4 mars 2002

    Cette loi énonce pour la première fois des règles propres au droit médical, commune au droit privé et administratif. Mais cette loi ne peut être et ne doit être interprétée que par les principes généraux du droit et par la jurisprudence des Cours civiles ou du Conseil d’Etat.

    I-4 La « judiciarité de la médecine »

    Il y a, actuellement beaucoup de fantasmes sur la question de la relation entre le droit et la médecine. Si le corps médical connaissait mieux le droit et ses mécanismes, les craintes seraient moindres et l’on éviterait le risque d’une médecine trop défensive.
    Mais connaître le droit nécessite une volonté individuelle de chaque praticien de s’informer et de se former. Celle- ci doit surtout être de qualité si l’on ne veut pas que les idées fausses circulent, animant ainsi les peurs du corps médical.

    Il n’y a aujourd’hui pas plus de contentieux direct contre les médecins qu’hier. Les seuls contentieux ayant augmenté sont ceux à l’encontre des hôpitaux. Cette fausse idée vient de la courbe croissante du nombre de sinistralités. Non pas que ceux-ci aient augmenté, mais les médecins, dans un souci de prudence les déclare tous, même les plus infimes et chaque sinistre n’équivaut pas forcément à un litige.
    Ce qui est actuellement alarmant est bien plus l’inflation indemnitaire à laquelle on assiste, qui reste principalement le problème des assurances. Cette inflation est liée à des évènements structurels de grandes envergures, tels les infections du VIH et Hépatite C par transfusion et au fait indéniable, que les juges sont plus larges dans les indemnités.

    Il est indéniable qu’il y a de plus en plus de lois dans le domaine médical, mais leurs nombres croissants ne sont-elles pas la réponse à une demande ?

    Le droit médical ne doit pas être perçu comme l’ennemi de la médecine mais plutôt comme un atout. Il permet de mettre une ligne directrice de respect de l’individu en lui octroyant, entre autre, une place d’égal à égal dans la relation médecin/patient. Ce n’est plus la rencontre entre une conscience et une confiance mais la rencontre entre deux confiances et deux consciences. Faut-il encore que les praticiens acceptent cette nouvelle relation. C’est dans cette idée que la loi du 4 mars 2002 a été conçue et qu’il faut la comprendre.

II- Les frontières du droit médical
II-1 Droit médical/droit de la santé publique

Cette distinction est nécessaire et pourtant souvent oubliée. La santé publique est tout ce qui concourt à la santé de l’ensemble de la population sur un territoire donné. A ce titre, le droit de la santé publique englobe le droit médical, sans pour autant qu’il en perde sa spécificité.

II-2 Droit médical/déontologie

Le terme de déontologie est ambivalent. A l’origine, c’était l’ensemble des devoirs moraux et éthiques, utiles à la pratique de la médecine, mais sans sanction juridique. La sanction juridique n’est arrivée qu’après guerre, faisant du code de déontologie un décret. Le code de déontologie fait désormais partie intégrante du droit et en particulier du droit médical. En intégrant le droit, il n’est plus soumis à l’interprétation des médecins mais à celles des juges. Les médecins ne sont plus maître de leur déontologie ce qui est, on le comprend, difficile à admettre.

II-3 Droit médical/médecine légale

La médecine légale, c’est mettre à disposition du juge, les connaissances médicales, lui permettant de trancher dans un litige. Le médecin légiste est en quelque sorte l’interprète de la médecine au service des profanes.

II-4 Droit médical/éthique

Il y a deux conceptions basiques du droit : le positivisme juridique, issu de l’école aristotitienne et le droit naturel, issue de l’école platonicienne.

La théorie du droit naturel consiste à dire que les règles morales fondent les règles de droit et qu’une loi ne doit pas être respectée si elle est illégitime. C’est sur ce principe de base que le procès de Nuremberg a été construit. Si l’on se place dans ce courant de pensée, le droit médical doit se fonder sur l’éthique car c’est ce qui le légitime. L’éthique est alors vue comme un instrument , une science auxiliaire du droit.

La théorie du positivisme juridique établit que la loi doit être respectée indépendamment de toute valeur morale tant que les règles formelles d’adoption de la loi aient été respectées. Laisser aux individus le choix d’appliquer ou non une loi selon leur propre valeur morale équivaudrait à instaurer le chaos dans la société. Si l’on se place dans ce courant de pensée, le droit et l’éthique sont à distinguer et ne se recoupent pas.

Actuellement on assiste à une éthique qui se veut une pure normativité. On le voit très bien avec les avis du CCNE, qui se devaient d’être consultatifs, mais qui aujourd’hui prennent une valeur obligatoire. Dans ce sens le CCNE devient une source de droit génératrice de règle, en parallèle au législatif. N’y a-t-il pas confusion des rôles ?


III- Conclusion

La loi est imparfaite car humaine et seules les vertus peuvent pallier à ses lacunes. Le droit médical s’accommode très bien à l’éthique, dans le sens où certains problèmes ne peuvent être résolus par la loi mais par une réflexion morale et éthique. Rédiger une loi pour résoudre un problème n’est pas forcément utile puisque de toute façon elle sera imparfaite et créera d’autres problèmes que ceux pour lesquels elle avait été crée. Il faut donc une certaine modestie quand on exige un

La chambre mortuaire : un service à part dans l’hôpital

La chambre mortuaire : un service à part dans l’hôpital
Un personnel et des activités méconnues
23 avril 2008 - Eléonore Freneau

Activité marginale et marginalisée par le monde hospitalier, la chambre mortuaire n’en reste pas moins un service hospitalier au même titre que les autres services de soins.

En premier lieu, la chambre mortuaire autrefois appelée « morgue » ou « amphithéâtre » doit être distinguée des chambres funéraires. En effet, comme précisé par la loi du 8 janvier 1993, contrairement à la chambre funéraire, la chambre mortuaire des établissements de santé ne constitue pas un des éléments du service extérieur des pompes funèbres.
Par conséquent, la chambre mortuaire ne relève pas de la mission de service public funéraire définie par l’article L 2223-19 du Code général des collectivités territoriales.
Selon le décret n°97-1039 du 14 novembre 1997, « les établissements de santé publics ou privés doivent disposer d’au moins une chambre mortuaire dès lors qu’ils enregistrent un nombre moyen annuel de décès au moins égal à 200 ». La chambre mortuaire est donc un équipement hospitalier destiné aux familles des personnes décédées dans l’établissement, afin qu’elle puissent disposer du temps nécessaire à l’organisation des obsèques.
Le régime juridique applicable au fonctionnement de la chambre mortuaire n’est pas distinct de celui qui gouverne l’ensemble des activités de l’établissement de santé où elle est installée.
Bien que relevant de la même responsabilité que les autres services de soins, la chambre mortuaire est, dans une réalité autre que juridique, une activité par nature très différente puisqu’elle accueille la mort ou l’échec de la médecine dans certains cas.
Il est d’ailleurs paradoxal d’ignorer ce service alors que plus de 80 % des français meurent à l’hôpital et donc transitent par ces structures. Malgré, ou à cause de cela, le législateur n’a pas oublié d’entourer ce domaine de règles très strictes.

Une activité strictement encadrée

Pour exemple, la durée de dépôt des corps à la chambre mortuaire est strictement délimitée. En effet, en principe, le corps du défunt ne doit pas rester plus de six jours après le décès. Le délai maximal toléré est de dix jours de dépôt pour les corps non réclamés par leur famille, délai au-delà duquel l’hôpital a l’obligation de faire procéder à l’inhumation du corps.
De même, l’article R 361-40 du Code des communes prévoit la gratuité du dépôt du corps à la chambre mortuaire mais celle-ci est limitée à trois jours après le décès. Au delà du troisième jour, l’établissement de santé a la faculté de facturer le dépôt du corps. Aujourd’hui, bon nombre d’établissement de santé facturent ainsi aux familles le séjour de leurs défunts au- delà de ce délai.
La chambre mortuaire, par la nature de ses activités, doit respecter de multiples prescriptions techniques. Précisé par l’article 1 de l’arrêté du 24 août 1998, « la chambre mortuaire doit comporter une zone publique destinée aux familles et une zone technique réservée aux professionnels ». Ce même arrêté détaille toutes les presciptions techniques applicables à ces deux zones mais il ne semble pas essentiel ici d’en préciser toutes les composantes.
Cependant, il faut souligner l’importance des opérations d’aménagement des locaux de la chambre mortuaire permettant un accueil digne des familles. Ces pièces doivent, en effet, être pensées pour que les familles soient à l’aise et avoir un aspect domestique.

La priorité est l’accueil des familles et les soins apportés aux défunts

La priorité dans une chambre mortuaire est l’accueil, l’information des familles et les soins apportés aux défunts par les personnels de la chambre mortuaire.
Tout d’abord, les personnels des chambres mortuaires relèvent en principe du statut des « agents de service mortuaire et de désinfection » et du décret n°2001-1033 du 8 novembre 2001. L’article 42 de ce décret indique que « les agents de service mortuaire et de désinfection sont chargés soit du service des personnes décédées et de la préparation des autopsies, soit des travaux que nécessite la prophylaxie des maladies contagieuses. Ils assurent, à ce second titre, la désinfection des locaux, des vêtements et du matériel et concourent au maintien de l’hygiène hospitalière ».
Les agents de la chambre mortuaire, bien que souvent soignants, ont un rôle différent de celui joué par les soignants des services de soins dits classiques. Ils travaillent tous les jours au contact de la mort, ils ne sont plus dans le soin à proprement parler. Cette particularité les rend marginaux ; ce personnel n’est, disons le franchement, pas toujours considéré à sa juste valeur. Leur tâche est pénible à plusieurs titres et pourtant beaucoup sont dans ces services par choix. Par choix d’accompagner les familles dans les premiers moments qui suivent le décès, par choix de rendre présentables les corps des défunts ou par empathie.
Il semble que le monde hospitalier, bien que conscient de l’impérieuse nécessité de la présence de ce type de personnel, n’est pas à l’aise, de même que l’immense majorité de la société, avec les gens qui travaillent au contact de la mort.
De manière générale, les français sont scandalisés par le "business" engendré par le décès d’autrui et ont plusieurs a priori au sujet des personnes travaillant auprès des défunts.

De nombreux préjugés

Bien que l’article R2223-89 du code général des collectivités territoriales offre la possiblité aux établissements de santé de facturer le dépôt d’un corps à la chambre mortuaire au-delà du troisième jour, on ne peut pas dire que la chambre mortuaire engendre, à l’inverse de certains opérateurs funéraires, beaucoup de profit. C’est donc, dans les établissements de santé disposant d’une chambre mortuaire, le second préjugé qui prédomine.
Travaillant avec ce personnel très régulièrement, il me semble temps de mettre un terme à cette image plus que dévalorisante. En considérant que toutes les personnes travaillant avec les défunts ont un problème avec la mort, la société n’est pas réaliste. Sans vouloir faire de généralité, certains agents sont altruistes, ce qui les fait lever le matin n’est pas morbide. Leur but est souvent de rendre moins pénible aux familles le moment redouté par tous.
Cependant, il faut reconnaître que la particularité de ce travail rend le personnel de la chambre mortuaire différent à bien des égards et souvent difficile à gérer. Est-ce son absence de reconnaissance par le reste du personnel soignant hospitalier ou la pénibilité de son travail qui rend ce personnel plaintif et bien souvent insatisfait de ses conditions de travail ? Cela est impossible à dire mais il n’empêche qu’à force de trop diaboliser ses fonctions, ce personnel ne se sent pas valorisé et que, par conséquent, il se dévalorise en permanence. Le chat se mord la queue...

Des activités de médecine légale

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Institut médico-légal de Paris

La chambre mortuaire est un service à part dans les établissements de santé dans la mesure où, en sus de l’activité mortuaire, il accueille généralement bien d’autres activités. C’est le cas de la médecine légale, des autopsies scientifiques, des prélèvements de cornées et de la foetopathologie.
Même si l’activité prioritaire doit rester l’activité mortuaire, la chambre mortuaire doit s’organiser en tenant compte des autres activités thanatologiques. Il s’agit, tout d’abord, de la médecine légale. Intégrer une activité de médecine légale dans une chambre mortuaire n’est pas toujours aisé ; c’est faire pénétrer à l’hôpital la Justice, la police ou la gendarmerie. Le problème n’est pas le mélange des genres ; il s’agit plutôt de faire cohabiter tous ces intervenants de manière harmonieuse et dans le respect des impératifs des uns et des autres. En effet, dans la mesure où les agents de service mortuaire préparent le autopsies, y assistent et aident à la restauration du corps, la question de l’organisation et de la planification des activités est cruciale. Cependant, qu’y a-t-il de plus imprévisible que la mort, hormis les cas de maladies qui ne nécessiteront que rarement des autopsies ? La planification ne peut donc être envisagée que sous l’angle de plages horaires respectant des horaires d’ouverture par exemple. La planification doit relever d’un management efficace, c’est pourquoi toutes les textes s’accordent pour favoriser le soutien du responsable du service par la direction de l’hôpital.
En cela aussi, la chambre mortuaire est un service à part dans la mesure où il est possible que certaines de ses activités soient dictées par une autorité autre qu’hospitalière. La création de structures indépendantes des chambres mortuaires dans les CHU faciliterait peut-être, un peu les choses.
La médecine légale est une spécialité aux pratiques aujourd’hui très disparates sur le territoire et en attente de définition claire et d’encadrement, selon le rapport du député de la Somme, monsieur Olivier Jardé remis au Premier Ministre en décembre 2003.

Une nouvelle spécialité ; la foetopathologie

En ce qui concerne les autres activités mortuaires telles que la foetopathologie, les autopsies scientifiques ou les prélèvements de cornées, elles nécessitent la même planification. Une nouvelle spécialité retient, cependant, l’attention des personnels de chambre mortuaire : il s’agit de la foetopathologie.
En effet, cette médecine, destinée à aider les parents à comprendre les causes scientifiques du décès de leur enfant, présente un grand intêret en terme de génétique. Au niveau de la chambre mortuaire, cette activité ajoute une difficulté supplémentaire pour les soignants : prendre en charge des fœtus et leurs parents en général choqués. S’ils ne sont pas tous tenus d’organiser des obsèques, tous les parents peuvent demander à voir leur enfant une dernière fois après l’autopsie. Ces moments douloureux sont difficiles à soutenir pour le personnel. Une circulaire du 28 janvier 2008 incite d’ailleurs les établissements de santé à former les personnels à cette prise en charge bien particulière et à proposer un soutien psychologique.

L’intervention des opérateurs funéraires

Enfin, la chambre mortuaire est un service original en ce sens qu’il est, sans arrêt, occupé par des opérateurs funéraires, des thanatopracteurs chargés, à la demande des familles, des soins de conservation des défunts et par l’agent municipal chargé de poser les bracelets d’identification sur les défunts.
Le principe pour les familles reste la liberté dans l’organisation des obsèques : la liste des opérateurs établie par le préfet du département doit être affichée dans la chambre mortuaire à la vue du public.
Toutes ces personnes ont un point en commun : travailler au contact de la mort au sein d’un service hospitalier. L’importance du nombre de ces personnels rend parfois ce service difficile à canaliser tant ce petit monde se comprend. La compréhension entre professionnels est importante mais dans certaines chambres mortuaires, on perçoit qu’elle a pris le pas sur le professionnalisme des agents entraînant un copinage nocif pour le sérieux de ces services à part.