mardi 15 mars 2011

Statut de l'embryon et du foetus

Statut de l'embryon et du foetus.

par: Frédérique DREIFUSS-NETTER
Professeur agrégée à la Faculté de droit de Paris 5 René Descartes

Si le statut de l'embryon et du foetus demeure incertain (I), ces incertitudes n'ont pas empêché de lui accorder une protection juridique (II)

I. INCERTITUDE DU STATUT

A. L'embryon et le foetus ne sont pas des personnes juridiques

En effet, ce n'est qu'à la naissance, et à condition de naître vivant et viable, que la personne acquiert un état civil. L'acte de naissance est réservé à l'enfant, même décédé au moment de la déclaration, mais dont il est démontré qu'il a vécu. Dans le cas contraire, seul un acte d'enfant sans vie pourra être établi (art. 79-1 Code civil), et inscrit sur le livret de famille à la rubrique des décès. En vertu d'une circulaire n° 2001-576 du 30 novembre 2001, il était préconisé de procéder à cette formalité que si la gestation avait duré 22 semaines ou si l'enfant mort-né avait un poids de 500 g selon les critères de l'OMS. La Cour de cassation a décidé par trois arrêts du 6 février 2008 qu'aucune condition relative à la durée de gestation ou au poids du foetus ne peut être imposée dans le silence de l'article 79-1 sur ce point.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation (arrêt du 30 juin 1999) a cassé un arrêt condamnant pour homicide involontaire le gynécologue qui, à la suite d'une erreur, avait provoqué l'avortement d'une patiente enceinte de quelques semaines car les atteintes à la vie du Code pénal ne concernent que la personne juridique (contra certains arrêts de Cour d'appel notamment dans l'hypothèse d'un accident de voiture ayant causé la mort d'un foetus viable - arrêt du 3 février 2000). La portée de cette jurisprudence a été précisée par l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 29 juin 2001 : les dispositions du Code pénal relatives à l'homicide involontaire ne sont pas applicables à l'embryon ou au foetus. Malgré l'opposition d'une partie de la doctrine, la Cour de cassation s'est de nouveau prononcée dans le même sens (Cass. crim., 25 juin 2002 ; 4 mai 2004).
L'Assemblée Nationale à deux reprises a voté un texte créant une nouvelle infraction d'interruption involontaire de la grossesse, en particulier l'amendement Garraud (27 novembre 2003 - documents Assemblée Nationale, texte adopté n° 208). Mais devant la réaction de l'opinion publique, l'amendement a été retiré devant le Sénat.
La Cour Européenne des droits de l'homme, saisie par la patiente concernée par l'arrêt du 30 juin 1999, a estimé que le point de départ du droit à la vie, à supposer qu'il s'applique au foetus, relève de la marge d'appréciation des états (CEDH, 8 juillet 2004, aff. Vo c/France ; C-53924/00).
Certes, l'adage infans conceptus pro nato habetur, considéré comme un principe général du droit, permet de faire remonter rétroactivement la date de constitution de certains droits, en faveur de la personne, à la date de sa conception, mais l'application de cette règle est toujours subordonnée à la naissance. La reconnaissance prénatale est possible mais l'auteur de la reconnaissance ne peut être considéré comme le père d'un enfant avant la naissance (Conseil d'Etat, arrêt du 29 mars 1996).

B. L'embryon et le foetus sont des personnes humaines en devenir

Le statut juridique de l'embryon est souvent présenté comme une alternative entre les deux grandes catégories juridiques que sont les choses et les personnes. Seules les personnes peuvent être sujets de droit tandis que les choses sont objets de droit (v. C. Neirinck). Des juristes estiment que le législateur a considéré l'embryon comme une chose (G.Mémeteau ; D.Vigneau). D'autres estiment qu'un tel statut n'est pas incompatible avec la protection légale que mérite une chose "sacrée" (v. X. Labbée) ou une chose "personnifiée" (v .N. Molfessis). D'autres enfin font valoir que la distinction entre les personnes et les choses est ici inopérante, et n'a de pertinence que dans un débat sur l'appropriation (v. D.Thouvenin).
L'absence de droits subjectifs n'exclut pas que la personne en devenir bénéficie d'une protection objective, à l'aide des instruments que sont les droits fondamentaux d'inspiration constitutionnelle : respect de l'être humain dès le commencement de la vie, dignité de la personne humaine (article 16 Code civil)

II. PROTECTION DE L'EMBRYON ET DU FOETUS

A. L'embryon in utero

L'embryon ou le foetus in utero n'a pas d'existence juridique autonome en dehors de la personne de la femme. C'est ainsi que la loi HURIET, modifié par la Loi 2004-806 du 9 août 2004 (JO du 11 aoû 2004) ne connaît que la recherche sur les femmes enceintes ou les parturientes, soumise à des conditions restrictives (art. L. 1121-5 CSP).
De même, une fois expulsés, les foetus n'ont longtemps été considérés que comme des déchets opératoires (v. l'avis du Comité consultatif national d'éthique du 22 mai 1984 sur les prélèvements de tissus d'embryons et de tissus humains morts à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques). La Loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique subordonne le prélévement de tissus et de cellules embryonnaires ou foetaux au consentement écrit de la femme, après une information sur les finalités du prélèvement (art. L. 1241-5 CSP). La loi ne s'est préoccupée du foetus en tant que tel qu'à travers la répression de l'avortement puis la loi sur l'interruption de grossesse (v. étude Interruption de grossesse). La loi Veil en 1975, sans dépénaliser l'avortement, a admis sa justification tirée de la détresse de la femme, pendant les dix premières semaines de la grossesse, dans le cadre d'une procédure déterminée. Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ont à plusieurs reprises affirmé la conformité de la loi sur l'IVG avec la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et ses dispositions garantissant le droit à la vie.
En outre, l'article L. 2213-1 CSP autorise également l'interruption de grossesse à tout moment en cas de péril grave pour la santé de la femme ou s'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

B. L'embryon in vitro

Les lois dites de bioéthique du 29 juillet 1994 ont tenté de préserver autant que faire se peut la conservation et le transfert des embryons fécondés in vitro afin de leur donner une chance de naître. Cependant, le législateur a entériné dans certaines circonstances la fin de leur conservation. En vertu de la loi du 6 août 2004 (art. L. 2141-4 CSP), le couple, consulté chaque année sur le point de savoir s'il maintient son projet parental ou le survivant après décès d'un des membres du couple, peut demander la fin de la conservation. La demande doit être faite par écrit et confirmée au bout de trois mois. Les embryons conservés depuis plus de cinq ans pourront aussi être détruits si le couple ne répond pas ou s'il existe un désaccord. Il en est de même pour les embryons, qui au bout de cinq ans après autorisation n'auront pas pu faire l'objet d'un accueil (v. étude Accueil d'embryon). Pour éviter d'augmenter le nombre des embryons surnuméraires, il est prévu qu'aucune nouvelle tentative de fécondation in vitro ne peut être entreprise tant que le couple a encore des embryons conservés, sauf si "un problème de qualité affecte ses embryons" (art. L. 2141-3 CSP).

La loi autorise également le tri des embryons grâce au diagnostic préimplantatoire pratiqué afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'une anomalie d'une particulière. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994, estimant que le législateur n'a "pas considéré que devait être assurée la conservation en toutes circonstances et pour une durée indéterminée de tous les embryons déjà formés" n'a pas cru devoir remettre en cause ce choix .
Mais surtout, la loi a voulu éviter l'instrumentalisation de l'embryon in vitro au nom du principe de protection de la dignité de la personne humaine dont il semble le dépositaire :
- tout d'abord, l'embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les modalités de l'assistance médicale à la procréation (art. L. 2141-3 CSP). (v. étude Assistance médicale à la procréation).
- cette exigence est renforcée par l'interdiction de concevoir un embryon à des fins commerciales ou industrielles (art. L.2151-3 CSP) ou à des fins d'expérimentation ou de recherche (art. L. 2151-2 CSP) (c'est également la préoccupation du Conseil de l'Europe dans la Convention d'Oviedo en matière de biomédecine).

Toutefois, si la loi du 29 juillet 2004 interdisait toute recherche sur les embryons surnuméraires et n'autorisait que les "études" ne portant pas atteinte à l'embryon, le principe a été assoupli par la loi du 6 août 2004 (art. L. 2151-5 CSP - V. Etude sur la recherche sur les embryons) en raison des perspectives ouvertes par la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

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